Repaires... repères. - Au fil des jours
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Je livre ici comme l'écrit, Mohamed Mbougar Sarr, dans "La plus secrète mémoire des hommes" : "[...] la patrie de l'intérieur, celles des souvenirs chaleureux et celle des ténèbres glacés, [...]
On éprouve le besoin de mettre en mots nos souvenirs, nos émotions, nos joies, nos réussites, nos déceptions et nos échecs parfois. Mais les mots ne sont pas toujours au rendez-vous pour témoigner de ce que nous avons vu et ressenti. Alors, nous cherchons à inventer un récit, avec la tentation de décrire non pas avec objectivité, mais en cherchant une cohérence qui réinterprète, avec bonne foi, des évènements, des lieux, des rencontres, pour restituer les apparences de la réalité, avec toute la sincérité du mensonge.
La narration prend le chemin d’un vécu arrangé pour s’approcher du réel. La narration a souvent besoin d’artifices pour dire la vérité un peu comme on se réfugie dans l’obscurité pour mieux voir quand la lumière nous aveugle. Le mensonge, c’est l’ombre de la vérité. Raconter c’est établir une relation entre la réalité du monde et nos images intérieurs, entre le monde extérieur et l’interprétation que nous en faisons.
Je commencerai par mon père. Je garde en mémoire l’image d’une photographie. Mon père me tient la main. Nous sommes devant le stade de Gerland à Lyon.
Mon père est Stéphanois. Je suis Lyonnais. Chaque année, nous allions assister au derby Lyon-Saint-Etienne. L’ambiance était bon enfant. Les supporters des deux camps rassemblés. J’allais écrire mélangés. On se chahute, on se «chambre» par rapport à ce qui se passe sur le terrain. On chante, on encourage. Il arrive que deux excités en viennent aux mains. Aussitôt, des supporters des deux camps se précipitent, les séparent en les rappelant à plus de civilité et d'esprit sportif. Voilà, l’incident est déjà terminé comme si rien ne s’était passé.
Et puis, le match, arrive à son terme. On rentre chez soi, heureux ou déçu selon l’équipe qui a gagné. Mon père qui penche plutôt pour l’équipe de Saint-Etienne est satisfait si les «verts» ont gagné. Mais il est encore plus heureux devant ma joie si c’est Lyon qui a la victoire. Finalement, il gagne à chaque fois.
Aujourd’hui un Lyon-Saint-Etienne s’apparente à une guerre (mais également d’autres rencontres de foot-ball). On a séparé les (hordes) groupes de supporters, établit un protocole de sécurité pour l’entrée dans le stade, pour l’attribution des places et pour quitter le stade. On a placé, parait-il, 300 caméras, visualisées constamment par des observateurs. Le terrain est entouré par des «stadiers» qui surveillent en permanence les tribunes. N’oublions pas non plus la police mobilisée en nombre pour la circonstance. Aujourd'hui, ce n'est plus que violences, invectives, insultes que l'on a bien du mal à contenir. On crie presque victoire quand on a évité l'envahissement du terrain pour s'en prendre à l'arbitre, aux joueurs adversaires voir à l'équipe que l'on supporte. Pendant combien de temps encore va-t-on devoir supporter ces "supporters" ?
C’està Lyon. C’est à Saint-Etienne…. C’est partout en France et ailleurs. (1)
Voilà ! Qu’est ce qui s’est passé en 60 ans pour en arriver à un tel «ensauvagement», à une telle démesure.
C’est à ne plus rien comprendre, à ne plus rien reconnaitre. Heureusement, il me reste la photo.
(1) jeudi 8 septembe 2022 : incidents lors qu match Nice-Cologne. Des supporter allemands ont quitté la tribune qui leur était réservée pour venir en découdre avec les supporters niçois.
J’avais quinze ans, je découvrais le monde et ce que je pressentais depuis l’enfance m’est apparu dans sa brutale réalité. Un monde d’injustice, de violence, de médiocrité et d'hypocrisie. Tout compte fait, c’est la médiocrité et l'hypocrisie qui m’a le plus dégouté. L’injustice et la violence, il peut arriver que l’on s’y fasse. Mais la médiocrité ou l’hypocrisie… jamais. Que me restait-il : l’action violente accroché à l’illusion de tout pouvoir changer ? Le suicide, j’y ai songé. Moi, je ne me voyais pas vivre dans ce monde. Illusion bien vaine. Me penser différent des autres m’a sauvé la vie. J’avais quinze ans. Il est des rencontres, des lectures qui à l’adolescence vous sauvent la vie. J’aurai l’occasion d’en reparler. Rimbaud est de ceux là.
J’ai lu que certains se posent la question de savoir si Rimbaud était de gauche ou de droite. Il me semble qu’ils n’ont rien compris. Rimbaud était un révolté pas un révolutionnaire. Il se rebelle contre la religion, la morale bourgeoise bien sur mais aussi contre les conventions, les idées toutes faites, les leçons apprises par choeur. Il éprouve, c'est attesté, des sympathies pour la commune de Paris. Il est révolté contre la bêtise d'un ordre injuste, déssechant et hypocrite. Mais je ne pense pas qu’il soit idéologiquement avec les communards. Leurs chemins se croisent un moment. Rimbaud n’a pas d’écurie ni de fil à la patte. Il n’a pas d’étiquette. C’est un idéaliste peut-être mais ce n’est pas un idéologue. Rimbaud est et restera sa vie vie entière un éternel insurgé.
Le révolté ne veut pas le changer le monde, il ne veut pas se conformer à l’ordre établi, c'est tout. Il se pense en marge. Le révolutionnaire comme le révolté, sont en lutte contre le monde tel qu’il est. Mais lorsque le révolutionnaire s’arrête le révolté continue. Quand la révolution triomphe un nouvel ordre s’établit. Le triomphe d’un ordre nouveau ne calme pas son mal être face à l’absurdité et la médiocrité du monde. Les idées toutes faites, contre lesquelles il se révoltait, n’ont souvent fait que d’être remplacées par des nouvelles. Le révolté, s’il lui arrive de se conformer un moment à la norme, ce n’est jamais pour longtemps. Il ne s'y résout jamais vraiment. Il le subit et vient toujours le moment où il retrouve sa révolte primitive.
Rimbaud n’est pas le petit fantassin d’un idéal qu’il faut à tout pris servir. Sa liberté est au-dessus de tout. Obéir aux consignes sans dire son mot, tout cela le rebute. Il crie bien haut ce qu’il pense. Il exprime sa pensée, ses opinions en toute liberté sans faire référence à un quelconque catéchisme. Il vit la vie qu’il a choisi sans s’enfermer dans un rôle. Même celui du poète. Rimbaud a surement eu conscience de ce qui l’attendait s’il continuait à écrire et s’il restait sur place. Il eut envie d’une autre vie.
Je perçois Rimbaud comme cela à travers ses écrits mais surtout sa vie. Sa vie d’écrivain surement mais également sa vie après l’écriture. Rimbaud est inclassable. Chacun voit Rimbaud a sa manière, un peu comme cela l’arrange et moi aussi sans doute. Chacun le pare de ses propres habits. Chacun se l’approprie et lui fait porter ses rêves, ce qu’il est et peut-être bien plus, ce qu’il voulait être et qu’il n’est pas.
Rimbaud quitte l’Europe à 20 ans. Il cesse d’écrire. Il commence une autre vie. Il veut vivre une autre vie, être un autre, penser différemment. Il rejette ce qu’il a été et qui peut-être l’a déçu. Il le dit dans le Bateau ivre : «Les aubes sont navrantes». Il est mort à 37 ans. Peut-être a-t-il eu la prescience de sa mort. A 20 ans, a-t-il compris qu’il était à la moitié de sa vie ? Alors, il souhaite surement que les années qui vont suivre soient différentes. Il va vivre une autre vie et penser autrement. Cesser l’écriture est surement pour lui une nouvelle forme de révolte. Une révolte contre une société qui voulait l’enfermer dans le statut de poète et Rimbaud ne supporte aucun statut. Il ne finira pas l’Académie française. Il ne voulait pas se retrouver du coté des plus nombreux, devenir prisonnier de l’admiration réelle ou feinte du monde qui l’entourait. C’était surement pour lui un plaisir jouissif de se sentir rejeter, voué au diable. Alors, il part. Les fleuves l’ont laissé descendre où il voulait.
En résumé, voici, quelques vers.
Révolte, voici mes larmes voici mes pleurs.
Délivre moi du bien, poète, je t’implore.
Toi qui connu l’opprobre et puis l’humiliation,
Viens, fais moi partager tes illuminations.
Et pour la liberté et par la solitude,
J’ai arraché de moi leurs pales certitudes.
Idées biens pensantes qui partout prolifèrent.
Et je partis pour une saison en enfer.
Rêveur impénitent allongé sur la berge,
Je cherchais l’étoile que la folie héberge.
Ivre d’une errance, le bateau que je pris
Dériva sur les désordres de mon esprit.
Conscience de l’inconscient, nuit originelle,
Utopie, hors du temps, images obsessionnelles.
La vision d’un visage, tourments affectifs,
Transport dans l’abime des élans primitifs.
Vomissant les relents de leurs pensées funèbres
Survint la lumière, traversant mes ténèbres.
Je me suis délivré de ce qui asservie.
J’avais quinze ans pas plus, tu m’as sauvé la vie.
Tu m’as donné le souffle, tu m’as pris la main.
Tu m’as aidé à vivre au moins jusqu’à demain.
Je n’étais pas comme eux, je n’étais pas commun.
Ils étaient si nombreux et moi je n’étais qu’un.
Et si j’ai malgré moi du entrer dans la danse,
J’ai malgré tout vécu en gardant ma cadence.
Ma jeunesse est passée. Ton empreinte est restée.
Je suis toujours pareil, je peux en attester.
Je pense avec doute mais toujours sans censure
Quelque soit le propos, quelque soit la blessure.
La révolte renait, soubresaut de la chair
Que la pensée anime, ultimes surenchères.
A 20 ans, j'étais révolutionnaire. Mais, je voulais révolutionner ma vie pas la société. La société peu m'importait. Rimbaud écrivait "changer la vie". Changer sa vie pas le monde. Ou changer son rapport au monde.
Je n’aime pas la droite et la gauche m’emmerde. Dans une réunion, entouré de gens de droite, je deviens révolutionnaire simplement pour voir la tronche qu’ils tirent. Face à des mecs de gauche j’ai un discours de droite voir d’extrème droite, et pourquoi pas, ça dépend de l’avancée de la soirée, de la forme du moment et aussi, il faut bien l’avouer, de ce que j’ai picolé. Je deviens écologiste devant des climato-sceptiques. Je nie le réchauffement climatique en présence des petits bonhommes verts, rien que pour leurs donner des boutons. Quand j’entends des propos racistes me vient l’envi de cracher à la gueule de ces connards. Face à des activistes antiracistes, je laisse volontairement planer des doutes sur mes convictions. C’est comme ça. Même si le racisme me répugne. Je suis athée avec les croyants mais il me plait de défendre la religion devant un parterre de bouffeurs de curés. Je peux être rationaliste jusqu’au bout des ongles et puis subitement venir à la rescousse de pensées les plus mystiques.
Peut-être parce que je porte toutes ces idées en moi… ou que j’aime bien emmerder le monde. Emmerder pour le plaisir. Surement. Mais aussi parce que tout n’est pas blanc ou noir et que les raisons de l’autre m’importe. Penser, c’est toujours laisser dans notre univers intellectuel de la place pour les idées des autres.
Je ne peux pas me sentir d’un camp. Je veux dire d’un seul camp. Je ne peux être d’un parti, d’un syndicat, d’une école de pensée, d’un clan, d’une chapelle. Je ne veux pas d’un collier et d’une laisse, d’une obligation ou d’une seule manière d’être et de penser. Penser, vient du latin «pensere» qui signifiait peser. Penser, c’est peser le pour et le contre. C’est mettre en balance des arguments contradictoires. Et selon, les plateaux de la balance peuvent aller d’un coté ou de l’autre. Donc penser, c’est quelque fois pencher d’un coté, quelque fois de l’autre. Certains pensent toujours pareil. C’est parce qu’ils ne pensent pas. Ils pensent juste ce qu’il faut. Raisonnablement. Ils pensent comme ils baisent. Juste pour l’hygiène.
J’ai des convictions qu’il me plait de défendre bec et ongles, le cas échéant bien sur. Mais toujours le doute est en moi. Et, si j’avais tort ou que les arguments des autres possedaient aussi une part de vérité aussi minime soit elle. Ne mériterait-elle pas que je l’accueille. D’ailleurs penser sans douter, est ce encore penser ? Penser sans douter c’est monstrueux. L’absence de doute n’a fait qu’engendrer des monstres. Et puis j’aime trop ma liberté de penser. Ne faire que relayer la parole d’un organisation ou d’une école de penser m’est tout simplement insupportable même s’il faut le payer au prix de la solitude et de l’opprobre.
Je ne supporte pas d’être le bon petit soldat d’un idéal, d’une idéologie, d’une religion, d’une cause, même la plus belle, à servir coute que coute. Je n’ai pas l’âme militante. On me l’a reproché. Le militantisme, peut avoir ses lettres de noblesse, je l'admets. Mais j'ai bien peur d’en être pour toujours indigne.
Et puis penser, c’est savoir s’élever au-dessus de la banalité du quotidien, là où la mélancolie est sans limite… d’une infinie tristesse.
Nous voilà, bien loin de Rimbaud me direz vous. Rimbaud ? Ah, oui, Rimbaud !
A bientôt
VU - LU - ENTENDU
Les livres, les films, les chansons, les auteurs/compositeursque j'ai découvert adolescent qui ont laissé une trace et m'ont aidé à survivre. Les auteurs, que j'ai cotoyé plus tard et qui ont compté pour moi et qui pour la plupart comptent encore aujourd'hui. Chaque livre, chaque film, chaque chansons, chaque auteur raconte pour moi un moment, une histoire.
Tiré du livre de Mohamed Mbougar Sarr, "La plus secrète mémoire des hommes".
"Mais soit me disais-je, soit ; j'écrirais donc comme on trahit son pays, c'est à dire, comme on se choisit pour terre non le pays natal mais le pays fatal, la patrie à laquelle notre vie profonde nous destine depuis toujours, la patrie de l'intérieur, celles des souvenirs chaleureux et celle des ténèbres glacés, la patrie des rêves premiers, la patrie des peurs et des hontes ruisselants en troupeau sur le flanc de l'âme, [...] Quelle est donc cette patrie ? Tu l'as connais : c'est évidemment la patrie des livres : les livres lus et aimés, les livres lus et honnis, les livres qu'on rêve d'écrire, les livres insignifiants qu'on a oubliés et dont on ne sait même plus si on les a ouverts un jour, les livres qu'on prétend avoir lus, les livres qu'on ne lira jamais mais dont on ne se séparerait pas non plus pour rien au monde, les livres qui attendent leur heure dans une nuit patiente, avant le crépuscule éblouissant des lectures de l'aube."