Repaires... repères. - Imaginaire et réalité
- A l'origine
- Patago... quoi !
- La découverte. Quelle découverte ???
- Deux pays, une région
- Antoine de Tounens
- Voyage inaccompli
- A suivre
Voilà le récit d'un voyage qui n'a pas eu lieu. L'idée d'un départ était née, il y a longtemps, c'est à dire... avant guerre. Et puis, de confinements en gestes barrières, de jauges en distanciations sociales, de passe sanitaire en passe vaccinal, il est resté à l'état de fantasme.
Ceci dit, l'avantage des voyages que l'on ne fait pas, c'est qu'ils ne finissent jamais. Ils résistent à l'abandon des souvenirs quand d'autres rouillent dans le grenier de la mémoire. Il sont intemporels et utopiques.
Certains disent qu'un voyage n'existe que lorsque l'on est revenu. Passé le voyage, c'est le temps de la narration. J'ai choisi de raconter le mien avant le départ.
D'où, vient ce nom de Patagonie ? Comme toujours, les avis divergent. Tant mieux, autrement, ça ne serait pas marrant. Il faut remonter en 1519. Nous sommes à Séville en Espagne. Il s'y prépare une expédition autour du monde commandée par un dénommé Fernand de Magellan, un Portugais au service du roi d'Espagne, Charles 1er, comme Ronaldo est au service de Manchester United.
L'aventure démarre le 10 août 1519 (je n'ai pas retenu l'heure). A son bord, se trouve Antonio Pigafetta, un Italien. Notre Tonio, est venu à Séville accompagner un nonce apostolique, Monseigneur Chieregati, en tant que secrétaire. Le nonce, sympa, lui trouve du "taf" dans l'équipage de la flotte de Magellan. Pigafetta, au cours du voyage aura la charge de tenir le journal de bord et à ce que l'on dit, il le fera très bien.
Quelque temps plus tard, au début de l'an 1520, notre petit monde aborde les côtes de l'extrème sud de l'Amérique. Je ne sais si c'est une vue déficiente ou un abus d'alcool, mais l'équipage dit avoir aperçu un géant qui était, écrit-il : «tant grand que le plus grand de nous ne lui venait qu'à la ceinture». Peut-être qu'ils n'étaient pas bien grands ces marins !
Mais quel rapport avec la Patagonie ? Pour certains, le mot viendrait de "pata", pied en espagnol. Pata, Patagonie vous voyez, il n'y a qu'un pas, si j'ose dire. D'autres, pour emmerder les premiers, sans doute, disent autre chose. Non, cela viendrait de "patan", signifiant, toujours en espagnol pataud, c'est à dire rustre, inculte. C'était un peu comme ça qu'ils devaient percevoir les autochtones, par rapport à eux, si intelligents. Donc, l'explication n'est pas aussi stupide que ça.
L'hypothèse aujourd'hui généralement retenue fait venir le mot du personnage fantastique appelé « Patagón », une créature sauvage qu'affronte Primaleón en Grèce dans un roman de chevalerie publié dans 1512 par Francisco Vázquez. Cette littérature de l'époque sans doute connue de Magellan et Pigafetta les a fait associer les autochtones rencontrés, avec leurs peaux d'animaux en guise de vêtement et leur consommation de viande crue, à la créature décrite par Vázquez dans son roman. Pigafetta écrit dans son journal "le capitaine appela cette manière de gens Pataghoni ». La légende était née. Elle devait perdurer jusqu'à la fin du 18e siècle.
Mensonge, vérité, qu'importe. Elle nous a laissé un nom, Patagonie, qui aujourd'hui encore fait rêver et invite au voyage. Et puis, les légendes sont comme les promesses électorales, elles n'engagent que ceux qui les croient.
En 1520, notre copain Magellan, quand il arrive sur les côtes du sud de l’Amérique, il découvre… ben ! Rien du tout. D’autres étaient passés avant lui. La région était habitée depuis ….. longtemps. Les premières traces d'une population ayant vécu dans ce que l'on nomme aujourd'hui la Patagonie remontent à 35 000 ans av. J.-C., comme le démontrent des fouilles archéologiques. Question découverte, il était un peu à la bourre, le petit père Magellan. Sans compter, que le continent américain avait déjà été visité par des Européens. Pour l’Amérique du nord, c’est sur. Demandez aux Vikings. Pour le sud, le Fernand, il devait bien avoir une petite idée. Au XVe siècle, contrairement à certaines idées reçues, le fait que la terre soit ronde était connu depuis l'Antiquité. Comme quoi dans l’Antiquité avec un A majuscule, il n’y avait pas que des cons. Enfin, pas plus qu’aujourd’hui. On dit aussi qu'il existait, bien à l'abri, dans des bibliothèques, des cartes de cette partie du monde dont Magellan aurait eu connaissance.
Bon, mais tout ça, bien sur, n'enlève rien à la difficulté de l'entreprise. Il fallait une bonne dose de courage, de volonté pour partir ainsi à l'aventure. A l'époque, les bateaux étaient moins surs, moins rapides, moins maniables, moins confortables qu'aujourd'hui. Les marins disposaient de quoi pour naviguer ? Une boussole, un sextant, leur science des étoiles et... leur bon sens pour se débrouiller avec rien. Pas de balises de détresse, pas de radio, pas GPS, pas de téléphone portable, pas d'ordinateur de bord, pas de 4 ou 5 G pour faire le point. Non pas le point G ! Je vous vois venir. L'eau, la nourriture, c'était aussi un problème à l'époque. Comment se ravitailler et comment conserver les produits élémentaires à la survie. De nos jours quand les messieurs de la télévision nous parle d'aventure (bon, ok, ça fait vendre de la "réclame"), ils devraient quand même mettre ces "exploits" en perspective.
Et puis, sur les territoires, prétendument «découverts», il y avait des habitants quand l’équipe de Magellan y arrive.
La Terre de Feu, comme on la nomme de nos jours, fut habitée pendant environ 10 000 ans par plusieurs peuples ; les Selknams ou Onas, les Yámanas ou Yaganes, les Alacalufes ou Kawaskhar, le Haush ou Manneken, les Tehuelches. Autant de peuples qui ont découvert… Magellan et sa clique. Ça a du leur faire bizarre de voir arriver tout ce monde sur de drôles d’embarcations, eux qui naviguaient en canoé. Aujourd'hui, ce n'est pas pareil, les gens du coin, pas ceux de l'époque, ils ont quasiment tous disparus, ils ont l'habitude de voir des touristes. Alors, les appareils photos, les téléphones portables, et que je me fasse un selfie et puis un autre, ça ne les étonne plus. Peut-être que ça les fait "chier" tous ces gens qui débarquent chez eux. Mais, voilà, c'est bon pour les affaires.
A l'époque, c'était différent. D'abord, ils sont venus jeter un coup d'oeil, sans selfie, et puis ils ont passé leur chemin. C'est en suite que ça s'est gâté quand ont débarqué les colons et les missionnaires. Tout ces gens là, sont restés et ont pris position. Attention ! Par position, je ne parle pas de celle du missionnaire. Ça a du les faire "chier" aussi mais ça ne leur a rien rapporté à eux... enfin que des "emmerdements".
Les Selh’nam ont donné son nom original à l’île de la Terre de Feu « Karukinka ». Ils vécurent dans le nord de l’île dominée par l’immense pampa et dans les forêts du sud au climat inhospitalier avec des étés courts et des hivers longs et froids.
Les Yamanas étaient des nomades qui ne passaient que quelques semaines au même endroit. Ils vivaient le long des côtes de la Terre de Feu ainsi que les côtes environnantes du Cap Horn. Leurs habitations étaient faites de huttes de troncs et de branches de forme conique. Comme d’autres peuples, les Yamanas la rencontre avec les Européens va entrainer petit à petit leur disparition. Les Yamanas vont être progressivement attaqués par des maladies comme la tuberculose, la rougeole et la syphilis.
Le peuple Kawashkar vivait le long des côtes entre le Golfe de Penas et le Canal de Cockburn dans la partie ouest de la Terre de Feu, région pluvieuse avec une végétation dense où les conditions sont rudes. Les îles étaient pratiquement inaccessibles en raison de leur absence de plages et de la densité de la forêt.
Les Haush vivaient dans la partie orientale de la Grande Île de la Terre de Feu, entre la Baie de Buen Suceso et le Cap San Pablo. Ils étaient des nomades, chassaient et péchaient pour subsister.
Les Tehuelches vivaient dans la steppe, entre la rivière Negro et le détroit de Magellan. Ils ont été appelés « Patagons » par les navigateurs européens. Les fameux supposés géants qui donnèrent le nom à la région.
La Patagonie également appelée « Le Grand Sud », région géographique du cône sud du continent américain. Elle fut partagée entre l'Argentine et le Chili en 1881, après un certains nombres de litiges entre ces deux pays. Il y a donc deux Patagonies au plan politique, deux espaces séparés par la cordillère de Andes.
Ses montagnes, ses glaciers, sa pampa, ses forêts, son littoral atlantique et pacifique, ses îles et archipels en font une terre de paysages plein de contrastes.
Avec sa superficie d'environ 1 000 000 de kilomètres carrés et ses 4 300 000 habitants elle est une des régions les moins peuplées au monde avec une densité de population inférieur à 5 habitants aux km2.
La partie argentine représente les 2/3 de la superficie totale et s’étend sur cinq provinces : Neuquen, Rio Negro, Chubut, Santa Cruz et la Terre de Feu.
Le territoire de Patagonie chilienne, inclut, au sens large, la région d'Araucanie. Elle comprend du nord au sud : la région de Temuco, La région des Fleuves et de Valdivia, la région des Lacs et de Puerto Montt, la région d’Aisén, la région de Magellan et de l’Antarctique chilien.
Historiquement, on l’a dit les premiers Européens a pointer officiellement le bout de leur nez faisaient partis de l’expédition de Fernão Magalhães (Ferdinand de Magellan). Il y eut ensuite quelques expéditions espagnoles. En particulier, en 1557, celle de Juan Ladrillero, et en 1580, de Pedro Sarmiento de Gamboa.
Au siècle suivant jusqu’à la fin du 19e arrivèrent les inévitables Anglais, suivis de Hollandais, de Français et bien sur d’Espagnols. C’étaient la chasse à la baleine qui attiraient ces gens là et puis, ça ne m’étonnerait qu’à moitié, certains venaient surement jeter un coup d’oeil pour voir si par hasard, il n’y aurait pas de la «tune» à se faire. Il eut également des expéditions scientifiques. La plus célèbre sillonna les eaux de la région entre 1826 et 1834, et comptait parmi ses membres Charles Darwin. Après la Patagonie, l’expédition pris la direction des îles Galápagos. C’est au cours d’un de ces voyages que Darwin développa sa théorie de l’évolution.
Avant l’indépendance du Chili et de l'Argentine, les natifs, en particulier les Mapuches, n’avaient cessé de lutter contre les Espagnols avec de nombreux revers mais également un bon nombre de succès. Ne pouvant les soumette, les Espagnols signèrent un premier traité de non agression en 1641. Ensuite, les hostilités reprirent, comme il se doit. Les termes des traités, c’est bien connus, n’engageant que ceux qui les croient. De violations des accords en soulèvements, un nouveau traité (un de plus) reconnut en 1773 l’indépendance de l’Araucanie. Après le départ des Espagnols, l’Araucanie, deviendra partie intégrante des deux nations qui se constituaient.
Du coté Argentin, à l’indépendance en juillet 1816, les autorités n’eurent de cesse de chercher à étendre leur influence. Une série de campagnes militaires, organisées par le pouvoir argentin entre 1875 1884, sont connues sous le nom de «conquista del Desierto» (campagne du désert). L'objectif est de coloniser toutes les régions du sud de la région de la Pampa et de la Patagonie orientale, jusqu'alors appartenant aux natifs Amérindiens Mapuches.
Au moment d’acquérir son indépendance de l’Espagne en février 1818, le Chili ne voyait pas s’étendre son territoire au sud. Mais, en 1830, le gouvernement commença à envisager l’annexion des terres situées dans la partie australe. Une expédition navale lancée en 1843 pris possession officiellement de la région et fonda en 1848 Punta Arenas.
Précédemment, on les avait oublié, nos «bons pères» Jésuites, fort de leur réussite dans d’autres contrées, avaient tenté l’aventure en Araucanie auprès des Mapuches avec l’espoir de les convertir à la «vrai» foi. Car ces «baptiseurs» de l’extrême n’hésitaient pas baptiser à la chaine comme aujourd’hui on vaccine. Mais ils n’eurent pas, auprès de ce peuple, le succès escompté. Les Mapuches, rebelles dans l’âme, avaient su résister au «passe baptismal» avant de les chasser.
Voilà, grosso modo, la situation à l'époque lorsque débarque au Chili le 28 août 1858, Antoine de Tounens.
Antoine de Tounens débarque donc au Chili, le 28 août 1858, après deux mois de voyage, passage obligé, avant le percement du canal de Panama, par le cap Horn. Il a 33 ans.
Orelie Antoine Thounem, nait le 1er février 1825 à Chourgnac en Dordogne. Prétendant être noble, il s’emploiera à faire reconnaitre ses origines et rectifier son nom. Il arrivera à ses fins. Après une longue bataille juridique, il deviendra Antoine de Tounens.
Il restera deux ans au Chili sans rien entreprendre. Il mena une vie sociale, fréquentant la «bonne» société de Santiago.
En France, il fit des études de droit avec quelques arrières pensées et devint avoué par ambition familiale, en occupant la charge qu’on lui avait acheté. On voyage longtemps avant de partir. On voyage dès l’enfance avec les livres, des photographies, les récits entendus. Aujourd’hui sans doute si ajoutent la télévision, les réseaux sociaux etc… Mais ce ne sont là que des instruments, qui ne sont rien sans l’imagination et aussi cette petite flamme qui déclenche tout. On est, peut-être, déjà voyageur dans le ventre de sa mère dont la rondeur doit paraitre comme une mappemonde à parcourir.
Lui, depuis sa prime jeunesse, il affirme : «nos yeux s’étaient fixés, sans pouvoir s’en détacher, sur cette partie de l’Amérique». Il puisa dans la lecture de la «Revue de géographie» que le seul peuple indien restant insoumis était la Confédérations de Araucans. Affligé par la perte du Canada par la France au profit des Anglais, il était décidé à conquérir un nouvel empire. Ce sera une idée fixe. Une idée conforme à ses rêves d’enfance : l’Araucanie. Il décida d’en devenir Roi, un fantasme qu’il portait également depuis sa prime jeunesse. Il avouera s’être consacré à l’étude du droit dans le seul but de «pourvoir aux nécessités de la vocation qui nous entrainait…».
Alors avoué, en Dordogne, quand depuis toujours, on se considère comme promis à l’aventure… J’allais écrire la gloire. La gloire, bof ! La gloire, c’est finalement que le regard des autres. Ça ne fait pas le poids à coté d’un rêve. Le regard et l’admiration des autres ont peut s’en passer. Enfin, jusqu’à un certain point. On ne peut vivre sans rêve. Lui, en tout cas, il ne pouvait pas. Il entrera ainsi dans la catégorie de ceux que l’on classe comme fous, asociaux et que la société condamne à la solitude. Solitude apparente seulement car ils portent un monde en eux.
Donc, deux ans au Chili, sans rien entreprendre. Je suppose qu’il se renseigne, cherche des informations, prend des notes. Tout cela discrètement, mine de rien, pour ne pas éveiller les soupçons, éviter les questions qu’on ne manquerait pas de lui poser par suspicion ou par curiosité. Il redoute surement la curiosité des autorités chiliennes mais aussi les inévitables sarcasmes de son entourage.
Il rencontre un chef militaire mapuche qui lui accorde un droit de passage sur ses terres, interdites aux Chiliens. Il développera alors des contacts réguliers et clandestins avec plusieurs caciques araucans.. Il gagne la confiance de ces populations en leur promettant des armes pour résister à l’armée chilienne. Une confiance qui semblait bien établi puisque différents clans araucans annonçaient la venue d’un «Roi français». C’est ainsi qu’Antoine de Tounens fonde le royaume d'Araucanie par deux ordonnances du 17 novembre 1860 et du 20 novembre 1860 avec le titre de roi sous le nom d'Orllie-Antoine Ier. il écrit également dans la foulée pour faire bonne mesure une constitution.
Il relate dans ses mémoires : « Je conçus le projet de me faire nommer chef des Araucaniens. Je m'ouvris à ce sujet à plusieurs caciques des environs, et, après avoir reçu d'eux le meilleur accueil, je pris le titre de roi, par une ordonnance du 17 novembre 1860, qui établissait les bases du gouvernement constitutionnel héréditaire fondé par moi . N'étions-nous pas libres, les Araucaniens de me conférer le pouvoir, et moi de l'accepter ? ».
Et puis Tounens expédie en France en juillet 1860 à un chargé d’affaires, un ami notaire à Périgueux, une lettre de mission dans laquelle il se désigne comme «Sa Majesté le Roi des Araucaniens» et annonce à l’Empereur des Français la fondation d’un royaume en Araucanie. Il le charge de contracter un emprunt pour consolider les finances du futur royaume et de lever une armée. On s’aperçoit qu’il avait déjà fait des préparatifs avant son départ de France : un correspondant et aussi un «sceau royal». Une armée ? Il prévoyait qu’il y aurait pour le moins de graves difficultés avec le Chili et l’Argentine qui pourraient envoyer des expéditions militaires contre le nouvel Etat. Il n’était ainsi pas aussi naïf et «fou» qu’on a bien voulu le prétendre.
Les Araucans étaient organisés sur le principe d’une confédération de nations. Il avait conclu un accord avec les Araucans qui voit en lui un libérateur. Il publie une constitution, crée un drapeau national. Ensuite, les Patagons se rallient à son entreprise voyant l’occasion de se libérer des Argentins. A la suite de ce ralliement, il décrète : «Article premier : La Patagonie est réunie aujourd’hui à notre royaume d’Araucanie et en fait partie intégrante dans les formes et conditions énoncées dans notre ordonnance du 17 novembre courant». Maintenant son territoire allait jusqu’au Cap Horn.
Une constitution qui en vaut bien d’autres. Un Roi, des ministres, un Conseil du Royaume, un corps législatif élu au suffrage universel, un organe juridictionnel. Il s’inspire en grande partie de la constitution française de 1852.
Tounens, se sent légitime à devenir le Roi des Araucans qui l’accepte pour chef. En effet, deux traités, 1641 et 1773 consacraient l’indépendance de l’Araucanie. De plus de part le traité de 1773, les Araucans avaient un résident à Santiago. Un ambassadeur en somme, preuve de leur souveraineté.
Selon Bruno Fuligni, il s'invente deux ministres, Lachaise et Desfontaines, dont il appose la signature au bas de ses actes. Patrick Thevenon écrit « Il s'entraîna, ainsi, à écrire de trois façons différentes, qui lui permettaient de légiférer, tour à tour, au nom du roi, de M. Lachaise, Premier ministre, ou de M. Desfontaines, garde des Sceaux ».
Il demande à la France de l'aider, mais il n'en obtient pas de réponse.
Ensuite, Tounens va revenir à Santiago pour établir des liaisons avec la France et y vivre au grand jour durant 9 mois. En France la presse se moque de lui. Bizarrement le Chili resta longtemps indifférent. Et puis le autorités chiliennes vont s’inquiéter de la proclamation du royaume d’Araucanie à cause de la concentration de cavaliers que cela avait entrainé chez le peuple Mapuche et ensuite, sans doute, prendre conscience que les territoires d’Araucanie et de Patagonie pourraient susciter l’appétit de puissances coloniales.
Début janvier 1862, Tounens, victime d’un guet-apens, sera arrêté comme agitateur politique par les autorités chiliennes, interrogé et gardé 9 mois en captivité. Il avait été prévu de l’assassiner mais par un concours de circonstances, il aura la vie sauve. Un procès se prépare. Le consul de France a Santiago suggère que Tounens ne jouirait pas de toutes ses facultés mentales et propose un examen médical. Les médecins le jugent sain d’esprit. Le procureur demande au juge une peine de dix ans de prison pénitentiaire pour le crime de perturbation de l'ordre public, mais en juillet1862, le juge Matus rend sa sentence et affirme « qu'au moment où le délit a reçu un commencement d'exécution, M. de Tounens était fou ». Il suspend le procès et décide de remettre Antoine de Tounens à l'asile d'aliénés de Santiago, où un membre de sa famille pourra venir le réclamer ou le chargé d'affaires de France. Antoine de Tounens fait appel de cette sentence, mais un arrêté de la cour de Santiago du 2 septembre 1862 confirme la sentence du juge en le déclarant fou. Antoine de Tounens est expulsé par les autorités chiliennes et le consul de France le fait embarquer pour la France le 28 octobre 1862.
Il arrive en France en mars 1863 et s'installe un temps à Paris, où il crée une petite cour. Il lance en 1864 un appel pour une souscription nationale de 100 millions. Ce projet échoue. En 1869, Antoine de Tounens tente une nouvelle expédition pour reconquérir son royaume et revient en Araucanie en compagnie d’un «associé-financier» nommé Antoine Planchu qui nourrit des arrières-pensées concernant le trône d’Araucanie. Aux cours du voyage de Buenos Aires vers l’Araucanie, Planchu rebroussa chemin pour récupérer du courrier mais aussi certainement parce qu’il ne sentait pas fait pour une vie aventureuse. Tounens va retrouver les Araucans et va passer au milieu de «son peuple la plus belle période de sa vie", dit-on. Il constitue un gouvernement. Puis c’est de nouveau incidents avec l’armée chilienne. Tounens fuit et retourne à Buenos Aires. La presse argentine signale sa présence dans la ville, preuve de sa célébrité. Une semaine après, il débarque à Montevideo. Ici, il fut reçu par les autorités consulaires de France et des Etats-Unis. Mais en août 1871 il décide de rentrer en France. Entre Paris et le Périgord,il passe les années qui suivent.
Antoine Planchu resté en Amérique du sud va tenter d’usurper le trône en cherchant d’influencer les Araucans Mais le succès d'Antoine Planchu ne dure pas longtemps, et on le retrouve noyé dans un cours d'eau quelque temps plus tard.
Quatre ans avant sa mort, alors qu'il était en "exil", en France, il dessina et fit frapper en 1874 une monnaie du royaume d'Araucanie et de Patagonie. Antoine de Tounens fait une autre tentative pour se rendre en Araucanie et reconquérir son royaume. Cette fois, il revient avec armes et monnaie frappée aux armes du royaume. Tounens avait débarqué avec quatre compagnons qu'il a ralliés à sa cause, se faisant appeler Jean Prat, officiellement pour établir une société commerciale. Mais reconnu, il est arrêté et écroué à Buenos Aires en juillet. Puis après les protestations de députés de Dordogne, remis en liberté et expulsé en octobre 1874, il regagna la France. Il revient à Paris où il vécut dans la misère.
En 1876, Antoine de Tounens repart une dernière fois pour Montevideo en compagnie d’une personne qui semble-t-il finançait le voyage. Puis nous le retrouvons à Buenos Airess. Le faux jean Prat avait échoué, il revenait en Roi. A l’époque la Patagonie n’était pour les Argentins d’aucun intérêt. Puis, il tomba gravement malade On le ramassa, inconscient, dans une rue de Buenos Aires et fut hospitalisé et opéré en octobre. Ensuite, il fut rapatrié en France et arriva à Bordeaux le 26 février 1877.
Rentré en France, Antoine de Tounens retourne dans sa région natale où l’archevêque de Bordeaux s'intéresse à son malheureux sort. Pour se procurer des ressources, il vend des brevets d'un ordre de chevalerie « mais ce petit trafic ne lui assura même pas du pain ». il écrivit aussi un livre qui eu un certain succès. Malade et à bout de ressources, il entre à nouveau à l'hôpital de Bordeaux, d'où il envoie de nombreux courriers pour intéresser à son sort les innombrables membres de ses ordres de chevalerie.
Ensuite, il fut recueilli par son neveu à Tourtoirac et mourut le 17 septembre 1878.
Depuis 1882, des Français (sans liens entre eux ni avec Antoine de Tounens) sont prétendants au trône du «Royaume d’Araucanie et de Patagonie» .Quant aux territoires des Mapuches, revendiqués pour royaume par Antoine de Tounens, ils ne sont plus indépendants depuis leur partage, en décembre 1902, entre le Chili et l’Argentine sous l'arbitrage de la Grande Bretagne. Il n’y eut jamais à part ce bref épisode de «Royaume d’Araucanie et de Patagonie» mais les conflits entre les populations mapuches et les autorités de ces pays sont toujours d’actualité.
Le hasard de mes lectures (ou relecture) me fait tomber sur un passage de l'ouvrage de Fernando Pessoa : "Le livre de l'intranqilité".
Ce "voyage inaccompli", comme s'intitule le chapitre, me semble bien s'insérer dans ce voyage en Patagonie qui n'a pas eu lieu. Je vous le livre (si je puis dire) en vous invitant à lire de bouquin de Pessoa.
"C'est par un crépuscule vaguement automnal que j'ai pris le départ pour ce voyage, jamais réalisé [...]
Je ne suis parti d'aucun port connu. J'ignore encore aujourd'hui quel port ce pouvait être, car jamais je n'y suis allé. De même, le but rituel de ce voyage était-il d'aller en quête de ports inexistants -- des ports qui se seraient réduits à l'entrée-dans-des-ports ; des baies oubliés, à l'embouchure des fleuves resserés dans les villes d'une irréprochable irréalité. Vous jugez sans aucun doute, en lisant ces lignes, qu'elles sont totalement absurdes. Mais c'est que vous n'avez jamais voyagé comme, moi, je l'ai fait.
Suis-je vraiment parti ? Je n'en jurerais pas. Je me suis retrouvé en d'autres contrées, dans d'autres ports, j'ai traversé des villes qui n'étaient pas celle-ci -- même si ni cette ville ni les autres n'étaient, en fait, aucune ville au monde. Vous jurer que c'est bien moi qui suis parti, et non pas le paysage ; que c'est moi qui ai parcouru des pays situés ailleurs, et non pas ces pays-là qui m'ont parcouru -- non, je n'en jurerais pas. [...]
J'ai voyagé, voilà tout. J'estime inutile de vous expliquer que je n'ai mis, pour voyager, ni des mois, ni des jours, ni aucune autre quantité de quelque mesure du temps que ce soit. J'ai voyagé dans le temps, bien entendu, mais non pas de ce coté-ci du temps, où nous le comptons en heures, en jours et en mois ; c'est de l'autre coté du temps que j'ai voyagé, là où le temps ne connait pas de mesure. Il passe, mais sans que l'on puisse le mesurer. Il est, en quelque sorte, plus rapide que le temps que nous avons vu nous vivre. Vous m'interrogez intérieurement, sans doute, sur le sens que peuvent bien avoir ces phases. N'allez pas commettre une telle erreur. Défaites-vous de cette habitude puérile de demander leur sens aux mots et aux choses. Rien n'a de sens.
Sur quel navire ai-je fait ce voyage ? Sur un bateau nommé Quelconque. Vous riez. Moi aussi, et de vous peut-être. Qui nous dit , à vous comme à moi, que je n'écris pas des symboles faits pour être compris des dieux ?"