Retour à l'accueil

accueilblanc3

 

 

Airdutemps 

 

J.K. Galbraith

L'oisiveté est un vilain défaut, dit-on. Il est pourtant des jours où l'on a raison de ne se consacrer à rien. Je flânais l'esprit ouvert à tout et à pas grand-chose, absorbé à ne surtout rien faire ni rien penser. Fouillant bien innocemment dans le bac d'un bouquiniste, je découvre un livre petit format, édité chez Grasset, de J.K. Galbraith, un essai intitulé " Les mensonges de l'économie ".Galbraith

L'auteur ne m'est pas inconnu. Je l'ai découvert dans les années 1970. A l’époque, je faisais des études de Droit et d 'Economie, tout en rêvant voyages et grands espaces. Bref, je « m’emmerdais ».  Il a été pour moi comme une bouffée d'air dans ce monde compassé de l'Université. Depuis ce temps, il fait partie, pour moi, des économistes (un peu comme Bernard Maris) qui savent mettre leurs connaissances à la portée de tous et qui n'hésitent pas à sortir de leur discipline pour voir plus loin que le bout de leur théorie. S'ils ont une démarche de sérieux scientifique, ils ne réduisent pas la vie et la réalité du monde à quelques courbes qu'ils nous assènent comme la preuve de vérités indiscutables. Ces gens m'horripilent et leurs courbes aussi. Pour les courbes, soit dit en passant, il en est d'autres plus agréables.

Courbes3

Mais ce n'est pas là que je voulais en venir.

Je feuillette le livre dans le plus grand désordre et revenant à l'introduction, je trouve ces quelques passages :

"[...] il faut comprendre qu'il existe un décalage permanent entre les idées admises [...] et la réalité. Et, au bout du compte, on ne s'en étonnera pas, c'est la réalité qui compte."  Il faut espérer que oui, mais la force des moyens de communication des puissants et des menteurs de tous poils, conjuguée à la bêtise assumée de ceux qui les écoutent et les croient, peut, à certains moments de découragement, nous en faire douter.

Plus loin : "j'en ai conclu que la réalité est bien plus brouillée par les inclinaisons sociales ou individuelles, ou par les intérêts financiers de tel ou tel groupe, dans le domaine économique ou politique que dans tout autre domaine."

Et puis, il précise : " [...] sur la base des pressions financières et politiques et des modes du moment, la théorie et les systèmes économiques et politiques en général cultivent leur propre version de la vérité. Une version qui n'entretient aucune relation nécessaire avec le réel. Personne n'est particulièrement coupable : on préfère, et de loin, penser ce qui arrange chacun. [...] Ce qui arrange chacun, c'est ce qui sert ou ne gêne pas les intérêts économiques, politiques et sociaux dominants. La plupart des auteurs de ces " mensonges " [...] ne sont pas volontairement au service de ces intérêts. Ils ne se rendent pas compte que l'on façonne leurs idées, qu'ils se font avoir. Rien de juridiquement répréhensible [...] Et aucun sentiment sérieux de culpabilité, mais très probablement, de l'autosatisfaction."

Voilà quelques phrases qui font du bien à entendre et qui, indépendamment des chapitres, de l'ouvrage, qui suivent, disent clairement de simples vérités.

John Kenneth Galbraith, est né le 15 octobre 1908 à Iona Station - Ontario (canada) et mort le 29 avril 2006 (à 97 ans) à Cambridge (États-Unis). Il fut le conseiller économique de plusieurs présidents des États-Unis. Il a été diplomate. Il a également enseigné dans les années 1970 dans plusieurs universités européennes.

Il développe une théorie s'inspirant de Keynes et des Institutionnalistes, tout en restant très hétérodoxe. Il sera très critique vis-à-vis de la politique de dérégulation menée par Ronald Reagan et de l'intégrisme économique de Milton Friedmann.

Se situant parmi les keynésiens de gauche, Galbraith critique la théorie néo-classique de la souveraineté du consommateur ainsi que du rôle autorégulateur du marché. Galbraith construit la notion de "technostructure" qu'il développe dans "Le nouvel État industriel" (le pouvoir dans les entreprises n'est plus aux mains des actionnaires, il a été confisqué par les "managers" qui ont ainsi crée une nouvelle classe, une sorte de bureaucratie  et celle de "filière inversée" dans son livre " L'Ère de l'opulence ". Le principe est le suivant : « Ce sont les entreprises qui imposent des produits aux consommateurs, et non l'inverse ». Autrement dit, il considérait que la notion d'économie de marché n'était en aucun cas pertinente et ne pouvait refléter ni expliquer la réalité. 

Sur l'économie de marché, voir également sur ce site l'ouvrage de Karl Polanyi " La grande transformation.  grdetransf01de Karl Polanyi, écrit en 1944 et décrivant la " société de marché " comme une construction socio-historique et non comme une donnée de la culture humaine."

Il écrira tout au long de sa carrière de nombreux ouvrages pour expliquer sa pensée.

J'ai découvert Galbraith avec son ouvrage " Le nouvel État, industriel ", paru en 1967. Le ton du livre m'avait séduit. Bien que les démonstrations, auxquelles il se livrait, soient solides et fort étayées, le ton contrastait avec les économistes qu'ils m'étaient donnés de lire à cette époque. Je me souviens d'un propos sur la nécessité pour l'école libérale classique de ne pas intervenir pour l'État dans le jeu de la libre entreprise. Et Galbraith écrivait : (je cite de mémoire) : "Il est autant jouissif de prendre la main dans le sac un tenant de cette théorie touchant des subventions d'État, que de surprendre un raciste à la sortie d'un bordel noir ".

Le personnage m'avait paru attachant et sortant des conventions de langage du monde feutré de l'économie. Pour moi, il ne devait pas être comme tous les autres, que ce soit dans la forme comme dans l'analyse et dans les conclusions qu'il en tirait.

En lisant, cet ouvrage trouvé par hasard, je me dis que les écrits de 1967 de Galbraith n'ont pas vieillis même s'ils demanderaient sans doute une actualisation et qu'il a gardé de cette époque une fraicheur d'esprit, une recherche de la vérité et une exigence de lucidité, sans soucis de compromission. Je crois que John Kenneth Galbraith écrivait et pensait sans crainte de déplaire. Et les gens qui n'ont pas peur de déplaire sont ceux qui me plaisent.

Richard Jean Pierre.